Note d’intention
L’oeil du spectacteur, sa propension au jugement et à la compartimentation des émotions sont des outils qui m’ont été nécessaires lors de la composition de cette création. J’ai cherché à dépasser le premier jugement de l’oeil, dépouiller le mouvement de son affect pour laisser apparaître son essence. Au coeur de cet oxymore chorégraphique, les corps des danseurs sont modelés par le regard de chaque spectateur. L’idée est de soustraire les interprètes (danseurs et musiciens) à toute notion de temporalité, les mouvements des corps sont isolés, en suspension, mêlant tour à tour des situations de déploration à des scènes de violence.
La musique au même titre que la danse est au coeur de cette reflexion où se mèlent brutalité du genre concitato à la douceur des inspirations orientales de Stracho Temelkovski. L’oeuvre de Claudio Monteverdi qui est un support et une source d’inspiration à cette création donne à voir cet inextricable lien entre violence et sentiment.
Sylvère Lamotte
C’est l’idée d’un conflit entre la beauté et la violence qui est la genèse de Ruines. C’est ce conflit, cette tension qu’interrogent les interprètes. Une question nous est alors posée : est-ce notre regard qui sublime le réel et dans quelle mesure sommes-nous les acteurs de cette sublimation ? Car s’il y a conflit, il n’y a pas forcement opposition. Ruines puise son inspiration dans une iconographie de la déploration de la religion chrétienne. Comme dans les tableaux du Titien ou du Gréco et leurs visages de Vierges au pied du Calvaire, ces visages marqués par la douleur, cette émotion que les plus grands artistes ont cherché à exprimer et qui traverse toute l’histoire de l’art. La douleur mais aussi l’extase. Comme celle de Sainte Thérèse d’Avila, comme une lumière qui irradie de l’intérieur. Jeux de lumières et de creux, formes qui s’accrochent et s’écorchent, une bouche béante est, en peinture, une tache, en sculpture un creux, qui peut donner au visage un aspect tordu et grimaçant. Elle peut aussi exprimer un cri de beauté, on pense au syndrome de Stendhal, ce vertige troublant qui prend à la gorge certains spectateurs saisis par la beauté des oeuvres.
RUINES – Création 2015
Conception et chorégraphie Sylvère Lamotte
Interprètes Jérémy Kouyoumdjian et Sylvère Lamotte
Composition et interprétation musicale Stracho Temelkovski
Création lumières Arnaud Cabias
Regardant et regardé, portant et porté, puisant dans les techniques de luttes modernes, le duo formé par Jérémy Kouyoumdjian et Sylvère Lamotte est aussi directement inspiré des arts martiaux mixtes (MMA : mixed martial arts) et du free fight, des techniques de combat complet qui oscillent entre pugilat et lutte au corps à corps mêlant coups de pied, coup de genou, techniques de projections et de percussion au sol. Entre violence et fascination, il s’agit, dans ces extrêmes confrontations, de révéler la beauté qui se loge jusque dans ces endroits là. Chercher la beauté dans la violence, le sacré dans le profane mais aussi le trajet inverse. Sublimer, toujours, et chercher l’émerveillement.
David Dibilio
DISTRIBUTION
Né en 1987, Sylvère Lamotte se forme à la danse contemporaine au Conservatoire national de Région de Rennes, puis au Conservatoire national de Danse de Paris. En 2007, alors en dernière année au Junior ballet, il intègre le Centre chorégraphique d’Aix-en-Provence au sein du GUID (Groupe Urbain d’Intervention Dansée), programme initié par le Ballet Prejlocaj. Curieux des univers de chacun, ouvert à diverses influences, Sylvère Lamotte travaille en tant qu’interprète auprès de chorégraphes aux univers variés : Paco Decina, Nasser Martin Gousset, Marcia Barellos & Karl Biscuit, Sylvain Groud, David Drouard, François Veyrunes, Alban Richard, Perrine Valli et Nicolas Hubert. Nourri de chacune de ces expériences, de chacun de ces langages, il en retient un goût pour la création collective et le mélange des influences. Il fonde en 2015 la compagnie Lamento au sein de laquelle il explore, en tant que chorégraphe et interprète, ses propres pistes de travail. Particulièrement attaché à la danse contact, Sylvère Lamotte expérimente notamment les moyens d’en faire varier les formes. Cette même année, il crée le duo (+ un musicien) Ruines, puis le quintette Les Sauvages (2017).
Né en 1985, Jérémy étudie au CNSMD de Lyon pendant 4 années en section danse contemporaine, aborde notamment les répertoires de Pina Bausch, Jean-Claude Ballotta et Jean-Christophe Maillot, et crée une pièce pour le Jeune Ballet de Lyon avec le chorégraphe Cyril Viallon. Dès sa sortie du conservatoire, il intègre le GUID d’Angelin Preljocaj, ainsi que les projets de Sylvain Groud et Frédéric Lescure. Il multiplie ses collaborations pour enrichir sa carrière de danseur interprète et rejoint notamment les projets de David Drouard, François Veyrunes, Ingrid Florin, Tommy Pascal, Paco Decina et prochainement Russel Maliphant. Il rejoint la CIE Lamento en 2014 pour sa première pièce, Ruines.
Né en 1978 à Grenoble de parents macédoniens, installés à Fontaine (Isère), Stracho Temelkovski, guitariste, percussionniste, compositeur et arrangeur, puise sa créativité dans l’héritage de ses profondes racines macédoniennes et dans son cheminement à travers les musiques acoustiques et électroniques. Ses rencontres musicales ont forgé au fil du temps ses créations et son improvisation et le poussent à multiplier les expériences artistiques avec d’autres musiciens mais aussi avec des conteurs, des danseurs… Après plusieurs expériences en tant que sideman, il propose ses propres spectacles et compositions.